Quel plaisir que d’aller acheter son bouquet de pivoines un samedi matin de mai, au marché, chez son fleuriste préféré ! C’est mon rituel sacré depuis pas mal d’années de vie strasbourgeoise. On s’extasie toujours devant le stand du fleuriste et on prend des longues minutes avant de choisir le bouquet parfait de tulipes, lilas, pivoines, roses ou glaïeuls, en fonction de la saison. Mais vous êtes-vous demandé à quoi ressemble la vie de ces fleures avant d’arriver au marché, fraîchement coupées et emballées, toutes prêtes à trôner dans la pièce principale de votre « chez vous » ? Moi oui, et j’ai décidé d’aller chercher la réponse à cette question.

Je suis une habituée du marché de la Marne à Strasbourg, que je ne quitte jamais sans un bouquet de fleurs. Depuis des années (je ne saurais plus les compter…) je suis devenue tout naturellement fidèle au fleuriste qui offrait les plus belles fleurs du marché et un rapport qualité-prix exceptionnel. L’année dernière je lui ai demandé une fois d’où venaient ses magnifiques pivoines. « Un champ de pivoines » – ce sont les mots qu’il a prononcés et qui me sont restés dans la tête. Bien évidemment, je me suis fixé comme objectif d’aller voir à quoi cela pouvait ressembler.

Vous êtes-vous demandé à quoi ressemble la vie de ces fleures avant d’arriver au marché, fraîchement coupées et emballées, toutes prêtes à trôner dans la pièce principale de votre « chez vous » ?

Les premières pivoines de cette année ont fait leur apparition comme d’habitude – fin avril, mais pas celles d’Alsace. J’ai résisté à la tentation d’acheter ces jolies fleurs venues d’ailleurs en choisissant toujours les autres fleurs de saison, tout en posant à chaque fois LA question : elles arrivent quand, vos pivoines ?

Voici donc le portrait de mon deuxième européen : il s’appelle Jean-Marc Schneider et il est le plus grand producteur de fleurs coupées d’Alsace. Sa ferme produit des fleurs magnifiques pour chacune des saisons : pivoines, roses, lys, lilas, boules de neige, glaïeuls ou encore des tulipes de variétés exceptionnelles que vous avez déjà pu découvrir sur mon blog dans cet article. J’ai eu la joie et l’honneur de visiter la ferme de Monsieur Schneider et de découvrir ce fameux champ de pivoines durant les derniers jours de la cueillette de ces superbes fleurs. Tout d’abord, je tiens à remercier M Schneider pour son amabilité et pour son accueil chaleureux.  Je ne m’attendais pas à découvrir autant de belles choses chez lui.

Champ de Pivoines Producteur Alsace field of peonies-13

Ébéniste à la base et fils de fermier, il est finalement retourné à la ferme et finit par devenir agriculteur. J’ai pu constater rapidement sa vocation évidente pour la terre et la nature : on vient d’arriver et M Schneider nous raconte déjà tellement de choses sur les espèces de pivoines, leur plantation et leur entretien, les maladies qui peuvent les affecter, etc. Il a tout appris au fur et à mesure, même si à un moment donné il a dû effectuer une formation pour être reconnu en tant qu’agriculteur.

Pendant ce temps-là, je découvre le fameux champ de pivoines : que ce soient des tunnels d’une longueur d’à peu près 150 m ou des plantations en plein air, c’est impressionnant. Bien évidemment, les pivoines ne sont pas ouvertes, car elles s’ouvriront chez vous, dans votre vase et dureront ainsi plus longtemps. Je vous laisse regarder les photos qui en disent bien plus que je pourrais vous décrire avec des mots. Les fleurs seront coupées même quelques jours avant d’arriver au marché et gardées dans l’eau et au frais.

Cueillir les pivoines ce n’est pas chose facile, me dit M Schneider, en me montrant ses bras très musclés. Et effectivement, j’ai pu voir moi-même l’effort que cette activité suppose – couper d’abord les fleurs et les mettre en bouquet pendant quelques heures puis les emmener jusqu’à la voiture et ainsi de suite. En plus des fleurs, M Schneider cultive aussi du blé, du colza, du maïs et a même une plantation de noyers. Vous allez découvrir plus bas dans les photos ce que j’ai découvert moi aussi avec surprise : on y trouve aussi des figues made in Alsace ! M Schneider et son épouse sont une équipe admirable, ils se complètent : lui – producteur, elle – fleuriste. Ensemble ils proposent des compositions florales pour toutes les occasions : mariages, Noel, Toussaint, deuil, etc.

Il n’aime pas partir souvent, car l’Alsace natale est si belle ! Et je suis tout à fait d’accord, je dis souvent que les alsaciens sont les français les plus gâtés – nous avons des paysages exceptionnels, la montagne, une mobilité extraordinaire grâce à notre positionnement géographique et je ne parle même pas de nos vins et de notre gastronomie. Toutefois, il aime beaucoup la montagne et nous raconte à propos de cela quelques épisodes de ses voyages au Népal et au Tibet.

Mais moi, je ne tarde pas à poser la question qui me préoccupe le plus : Strasbourg est la capitale de l’Europe, alors qu’est-ce que ça vous dit – l’Europe ? La réponse arrive aussitôt et je reçois une approche très directe, venant d’un homme qui doit confronter tout aussi directement les problèmes et les difficultés de son métier.

Je vois régulièrement les panneaux en ville sur lesquelles est écrit Strasbourg – Eurométropole. Au marché (de la Marne) c’est difficile de se garer, les policiers débarquent juste pour nous mettre des procès-verbaux, la ville ne fait rien pour tolérer certaines choses le jour de marché. Ils mettent des barrières mais les gens du quartier les enlèvent pour passer. Ce sont des choses simples qu’ils pourraient faire, qui ne coûtent pas d’argent, mais qu’ils ne font pas. 

Par conséquent, est né le magasin Hop’la. Je fais les marchés depuis 30 ans et tous les 5-6 ans lors des élections les politiciens promettent la même chose pour nous – un marché couvert. Il y en avait un avant qui se tenait tous les mercredis et vendredis avec un parking pour se garer mais, ultérieurement, le musée d’art moderne a été construit sur cette place donc le marché est disparu. Après il y avait un autre emplacement qui nous a été promis, celui sur lequel se trouve IKEA à présent, mais ils ont dû faire une proposition financière plus séduisante et c’est eux qui ont eu la place. Ils nous ont proposé aussi de la place sur Rivétoile, mais là encore c’est Leclerc qui s’est installé finalement. On savait que dans notre région il y a des agriculteurs qui se mettent ensemble, alors pourquoi on ne ferait pas la même chose pour créer notre propre marché ? On s’est dit que ça serait une idée à discuter et donc un groupe d’agriculteurs c’est retrouvé pour une première réunion et après six mois ils m’ont parlé de leur projet et j’ai décidé de les joindre. Depuis on est ensemble, on a pris un formateur, un coach qui nous a suivi pendant 4-5 ans. Aujourd’hui Hop’là a ouvert, ça marche, et c’est après que la mairie est venue pour créer la Nouvelle Douane. Sauf que là-bas c’est la mairie avec la Chambre (de l’agriculture) qui décide quels agriculteurs peuvent bénéficier d’une place. Alors ils parlent toujours de la Nouvelle Douane de magasin producteur comme Hop’la, mais on n’a pas de lien ensemble, même s’ils utilisent notre image. Et vous savez, nous, aujourd’hui on tourne sans subvention, on se lève tôt le matin, on bosse.

– Pourquoi vous n’avez pas de subventions ? Parce que vous en avez pas demandé ou parce que vous n’êtes pas éligibles ?

Les fleurs ne sont pas subventionnées, les légumes non plus, les noyers non plus (et il faut 10 ans d’attente pour avoir une récolte). Je suis ravi de ne pas en avoir besoin.

On savait que dans notre région il y a des agriculteurs qui se mettent ensemble, alors pourquoi on ne ferait pas la même chose pour créer notre propre marché ? Par conséquent, est né le magasin Hop’la.

– Et des subventions européennes ?

Il y a un monsieur de la chambre d’agriculture qui est passé pour me faire un dossier, mais j’avais déjà planté. Si tout va bien, vous recevrez 1000€ d’aide juste pour la plantation une seule fois, mais le dossier coutait 600€. J’ai dit alors – on ne fait rien. J’ai appris lors d’une réunion interprofessionnelle que l’Europe et la région veulent faire des aides, sauf que les dossiers doivent être validés avant que vous construisiez quoi que ce soit. Même si nous ne sommes pas subventionnés, on fait pas ça pour la subvention.

– Vous n’exportez pas ?

Aujourd’hui, tant qu’on peut vendre ici, pourquoi aller ailleurs ?

Ma conclusion après cette rencontre est la suivante : l’Europe et ses grandes idées ont bel et bien du mal à se concrétiser dans le quotidien de ses citoyens. Le Traité pour l’Union Européenne enseigne que cette construction est faite pour les citoyens mais il parait encore une fois que les nobles intentions se heurtent à la vieille et étouffante bureaucratie. Toutefois, le héros de cet article est un homme qui profite lui aussi de l’immense avantage de la libre circulation et moi, en tant que citoyen européen, je profite de la liberté de vivre à Strasbourg, d’aller tous les samedis au marché et d’acheter ces belles fleurs chez un des meilleurs producteurs d’Europe.

Vous trouverez Monsieur Schneider au marché de la Marne tous les samedis, coté boulevard d’Anvers. Rendez-vous sur son site (http://www.ferme-schneider-jean-marc.fr/) afin de découvrir d’autres informations concernant son activité et les prestations qu’il offre. Et j’en profite pour vous dire que j’ai acheté aujourd’hui chez M Schneider les plus belles pivoines pour les offrir à ma mère ! Je souhaite une bonne fête des mères à Mme Schneider également, que je félicite pour ses efforts, pour une famille si belle et pour être une fleuriste exceptionnelle !